Vous êtes à la VIe édition du festival Badjouhonan. Qu’est-ce qui a motivé l’institution dudit événement ?
Littéralement Badjouhonan veut dire la foire de l’amitié, le lieu où l’on se connait, se lie d’amitié, ou se découvre. C’est donc un terme polysémique Wê qui en lui-même est tout un programme. En fait, il y a des ressortissants wê notamment nos enfants, nos sœurs et frères d’ici ou de l’extérieur qui ignorent totalement ou en partie les us et coutumes de chez nous. A ceux-là, il faut ajouter ceux qui partagent notre espace de vie, c’est-à- dire nos sœurs et frères allogènes qui, malgré la proximité ne connaissent pas notre culture. Tout ceci n’est pas normal. De plus, le Wê et sa culture demeurent encore inconnus pour certains peuples. Voilà pourquoi nous nous sommes donnés pour mission de faire (re)découvrir à travers ledit festival tout ce que nous avons de précieux culturellement et cultuellement, puis faire en sorte que cela soit revalorisé et pérennisé. Voilà ce qui motive la création du festival Badjouhonan qui se veut le ‘’Pakinou’’ des Wê.
C’est donc un cadre que nous offrons au parents, enfants, amis et connaissances et surtout aux touristes de vivre pendant dix jours, la tradition et le riche patrimoine culturel Wê à Tiény-Séably dans le Département de Facobly du 22 au 31 décembre de chaque année, une période caractérisée par la saison sèche et la fin des moissons. C’est aussi un cadre où les cadres de nos villes et villages se rencontrent pour parler cohésion sociale et développement à l’instar de nos frères baoulé lors de la fête de Pâques. C’est donc une sorte de « Pakinou » des Wê.
Qu’est-ce qui fait le patrimoine de la culture Wê ?
Le patrimoine culturel Wê, est vaste et constitue tout un ensemble. A savoir la manière spécifique du Wê de manifester sa joie à travers les danses de réjouissance et les troupes telles que le Tématé, Ko–inn (groupe de cors), les Blahons (danse des hommes-panthères), le Kono (danse au clair de lune). Il y a aussi la façon particulière du Wê, de réguler la vie en société à travers ses interdits, Totems, les jugements des Glaé (masquessacrés), les Tih (casessacrées). Nous avons également l’art culinaire Wê avec des mets comme le Kplé, le Bawin, le Bômlin, le Kwin-ni, le Kôhou, le Srin-win etc. sans oublier l’éducation à travers les Klin–Gbéhé (camp d’initiation des hommes) et la façon de s’habiller avec le Flaè (gros boubou wê). Il y a également les critères de beauté féminine et masculine et les moments de divertissement à travers entre autres jeux patrimoniaux le « Gba Sré–Sré » (la lutte traditionnelle), le Plé Sri (la course de masque), le « Kpoun » (Awalé), le « Tikpé » (lancer de peluche).
Comment tout cela est décliné dans le festival ? Quelles sont les articulations et la spécificité de l’édition VI de Badjouhonan ?
Le festival se déroule chaque année du 22 au 31 décembre. Nous avons choisi cette date à dessin parce que traditionnellement c’est à cette période que nos parents s’adonnaient au Gba Sré-Sré, Plé Sri ou Kpoun. Car les travaux champêtres terminés, ils se permettaient de s’amuser. Nous voulons donc maintenir cet aspect traditionnel. C’est pourquoi nous avons refusé que le festival Badjouhonan se tienne pendant les grandes vacances parce que nous voulons demeurer dans la tradition. Et les Wê profitent du mois de décembre pour se divertir.
Le 22 décembre, nous procédons à l’ouverture officiel du festival avec les autorités préfectorales, les invités d’honneur, le Parrain, les invités spéciaux, les allocutions, les danses, les masques, prestations d’artistes, etc.
Le tout couronné par un repas offert par le commissariat Général du festival et la chefferie cantonale Péomé. Cette année, comme de coutume, il est prévu différentes manifestations. A savoir le concours SBAÏ de beauté féminine, les prestations de chants et danses traditionnels, (Tématé, Ko-inn), sortie des Glaé et Blahons ainsi que le les concours culinaire, oratoire et les compétitions inter-village qui vont opposer plusieurs équipes de Gba Sré-Sré, Plé-Sri, Kpoun et le tournoi de pétanque.
La spécificité de Badjouhonan c’est notre volonté d’en faire une fête régionale. Nous restons certes attachés à la culture Wê, mais faisons des ouvertures à d’autres peuples que nous invitons à fêter avec nous. Egalement notre programme est émaillé de conférences sur des thématiques de société et de développement, de sport-fitness dénommé Badjouhonan–dance, qui permet à toutes les couches sociales de se refaire une santé à travers la danse sur les sonorités du terroir wê. Il y a en outre l’organisation du concours gastronomique couplé avec le concours Sbaï qui magnifie la belle, vertueuse et noble femme wê et les qualités culinaires de nos mères.
L’autre particularité de cette célébration est le maquis géant au village Badjouhonan avec la prestation d’artistes wê. Egalement à travers le concours oratoire, nous encourageons l’excellence scolaire tout en permettons à nos enfants d’avoir les pieds dans la tradition et la tête dans le modernisme à travers les études scolaires.
Ces jeux, danses et spectacles seront étalés sur toute la durée des festivités et toutes les équipes participantes sont récompensées lors de la cérémonie de clôture le 31 décembre en présence des autorités administratives, coutumières et religieuses du District des Montagnes.
Après V éditions, quel est l’impact du festival sur les populations surtout la jeunesse ?
Aujourd’hui, toutes les populations ne jurent que par Badjouhonan. La 5e édition a regroupé plus de 8000 participants. Les personnes âgées sont heureuses de se sentir encore utiles. Car nous les impliquons et les consultons à chaque fois que de besoin. De plus, il y a un changement de comportement au sein de la jeunesse et de façon générale, un regain d’intérêt à la chose culturelle depuis que nous organisons ce festival. Si bien que la jeunesse a découvert les us et coutumes Wê, s’en est approprié et les comportements déviationnistes des jeunes ont connu un réel recul. IIs ne lancent plus les injures grossières et n’ont plus les attitudes et comportements grossiers en public comme il n’y a pas longtemps. Ils ont été suffisamment sensibilisés sur ce sujet. Car ces faits sont réprimés et punis par la loi. C’est cela qu’on appelle en droit attentat public à la pudeur. Il y a un changement de comportement au sein de la jeunesse et de façon générale, un regain d’intérêt à la chose culturelle depuis que nous organisons ce festival.
Les hommes et les femmes acceptent de participer volontiers aux compétitions dans la convivialité. D’ailleurs l’un des objectifs du festival est de créer de nouvelles amitiés tout en consolidant celles qui existent déjà, autour de la célébration de la culture.
Le festival a un impact réel sur le développement de la localité. En témoigne, la floraison des activités économiques saisonnières et l’augmentation des chiffres d’affaires.
Tous les réceptifs hôteliers ont affiché complet. La mutuelle de développement de la ville en a profité pour initier des actions de développement. Des cadres ont senti l’importance d’avoir un toit et sont entrain de construire. Ce qui a conduit à l’extension de la ville par de nouveaux lotissements.
Quels sont les difficultés rencontrées ?
Les difficultés sont énormes et sont surtout d’ordre financier. Pour la Ve édition, le budget était de 15 millions de FCFA mais il n’a pu être bouclé par faute d’appuis extérieurs. Ni le Conseil Général, ni la Mairie, ni le District des Montagnes, ne nous ont soutenus. Nous avons alors été contraints de réduire le budget à sept millions parce que nous aimons la culture et espérons que tôt ou tard, des partenaires ou des personnes de bonnes volontés viendront nous soutenir pour le bonheur des populations.
Néanmoins nous avons adressé plusieurs courriers d’aide au Ministère du Tourisme et des Loisirs, au Ministère de la Culture et de la Francophonie ainsi qu’à plusieurs autres structures du domaine et jusque-là nous sommes toujours dans l’attente d’une réponse. En attendant nous fonctionnons sur fonds propres. Ce, depuis la première édition et nous sommes cette année à la VIe édition. Et depuis deux ans des touristes européens ainsi que les ivoiriens de la diaspora commencent à nous visiter. L’édition précédente, nous avons reçu dix touristes français et espagnols.
Tout cela démontre que Badjouhonan a atteint sa vitesse de croisière et il nous faut des soutiens et des bénévoles pour une meilleure organisation. Alors je lance un appel à la jeunesse afin qu’elle intègre les différentes commissions. Parce que c’est leur bien, nous voulons qu’elle prenne le pouvoir. Et nous demandons aux cadres de ne pas donner une connotation politique au festival. Que personne n’en fasse surtout une affaire politique parce que la culture tout comme le développement n’a pas de couleur politique. Alors que les cadres comprennent que nous avons désormais un festival qui vient faire la promotion de la culture Wê. Que chaque ressortissant s’implique fortement et que ceux qui ont les moyens nous soutiennent. Donnons-nous la main et les moyens pour faire de Badjouhonan notre festival à tous.
Je profite de cette lucarne qui m’est offerte pour remercier mes aînés, cadres, frères et sœurs qui croient au projet et qui continuent de nous orienter et de nous apporter leur soutien par des conseils avisés.
A nos partenaires Echo du Grand Ouest, Kita Voyages, Sud-Edition, Laregionalenews.ci, Groupe Ivoire Intellect, Dg Cosmetic, nous réitérons nos remerciements. Nous vous attendons tous. Population ivoirienne, celle de la diaspora ainsi que nos amis touristes européens, nous vous attendons pour célébrer l’amitié avec nos frères et sœurs du peuple Mahou qui est à l’honneur pour cette VIe édition du festival Badjouhonan.
Angeline DJÉRABÉ